Triste est mon sort, pourtant je suis médecin.

13 avril 2020 Par Lahlou Ouchiha

Pour vous mes héros.

J’ai eu mon Bac! Enfin, j’ai reçu la clé, la clé de mes rêves, du rêve de mes parents et celui de tout un village. J’ai eu le fameux sésame après des années de labeur, d’abnégation et persévérance. Malgré les contraintes et les obstacles, je n’ai pas cédé grâce au support de mon père et aux discours interminables de ma maman.

Pour moi c’était un projet humanitaire plus que personnel. Celui de dédier mon énergie, mon temps, toute mon existence à mon prochain; une sorte de passion, de philosophie de vie qui consiste à se donner corps et âme pour sauver une vie. Une vie, une seule me suffirait amplement pour faire de moi mon héros.

Pour mes parents c’était une autre question. Ils voyaient en moi l’espoir d’un lendemain gracieux. Ils considèraient ma réussite comme une échappatoire à la misère qui est retransmise tel un héritage de génération en génération. Ils entrevoient déjà l’opulence de ma future vie, ma voiture, ma belle maison, ma femme instruite et mes enfants heureux et joviaux dans leurs beaux habits. Je ne les blâme pas. C’est vrai, la richesse peut pervertir les hommes mais, la pauvreté pervertit leurs rêves.

Maman j’ai eu mon diplôme! je suis enfin médecin! C’était ton rêve que je viens de concrétiser. Ma mère fond en larmes. Mon père, tel un roc, refuse de se soumettre à ce nouveau sentiment « la joie ». Lui qui n’a connu que souffrances et chagrins, un simple sourire pourrait pulvériser tout son être. Il ne devrait lâcher en aucun cas, sous quelconque prétexte. Tellement méfiant des traîtrises de la vie il croyait que c’était une énième fourberie du sort.

J’ai eu l’opportunité de partir, s’envoler pour découvrir d’autres horizons. J’ai été tenté, comme mes semblables, de m’installer dans un pays qui respecte ses médecins, qui considère la noblesse de leurs tâches, hélas! je ne l’ai pas fait. J’ai décidé de rester pour mes parents, pour nos pauvres, pour aider et répondre présent à toute alerte.

Désormais, je suis seul, seul devant la mort invisible. Jamais je n’avais imaginé que je serais aussi proche de la mort; je savais que mon métier comportait des risques mais nullement celui d’aujourd’hui. Je suis seul devant ce cadavre, à plat ventre, assisté par un respirateur artificiel fait maison , seul devant cette âme essoufflée mais recalcitrante, qui refuse de partir, refuse d’avoir pitié de son corps et de me délivrer de mes peurs. Seul devant la mort, ni masque homologué, ni protection adéquate, sauf ce bout de tissu, tissé par les femmes de mon village et apporté par ma mère lors de sa dernière visite avant ma mise en quarantaine. Un tissu rudimentaire certes mais, qui regorge d’énergie, d’esprits, ceux de nos guerriers berbères défiants la mort pour rester libres et autonomes. Où êtes-vous corrompus de politiques? où êtes-vous policiers de la honte?
Ne t’inquiète pas maman, nous allons vaincre, nous allons nous en sortir. Ça va bien aller.
L.O