Abehri tmeddit isuded (le vent du soir a soufflé)

4 mai 2020 Par El Kahina

Comment peut-on être touché par la disparition d’une personne sans l’avoir jamais rencontré…telle est la question que je me pose.
Je pourrais dire que c’est parce qu’il a bercé notre enfance et accompagné notre adolescence et jusqu’à aujourd’hui il fait partie de la vie des adultes que nous sommes.

Mais cela n’est pas suffisant … il doit y avoir autre chose encore.
Je pourrais dire que ses chansons regorgent d’histoires et de comptes que ma grand-mère me racontait alors que je n’étais qu’une enfant.
Mais je ne suis pas la seule à être touchée… il doit y avoir une autre raison.
Peut-être parce qu’il a chanté cette Kabylie chère à nos cœurs. Oui … c’est ça; mais d’autres l’ont chanté également… alors pourquoi lui plus que les autres ?

Peut-être parce qu’il l’a chanté d’une simplicité telle que tout Kabyle ayant vécu dans une parcelle de cette région mythique a pu reconnaître dans ses chansons un souvenir, un proverbe, un olivier, une maison en terre cuite, une grand-mère ou un grand-père, un verre de « IGHI », un morceau de «AGHROUM », un bout de montagne, un champs de « assemmoum »…la liste est longue Mais il n’a pas touché que les Kabyles …l’émotion que sa présence et encore plus son départ, ont suscité et partagé par tous les Algériens …et même au-delà… mais alors quel est le secret ? Peut-être parce qu’il a chanté la vie de tout le monde d’une simplicité désarmante que n’importe qui y trouve son compte ; que ce soit dans ses anciennes chansons ou les plus récentes. Il a chanté la mère courageuse qui sacrifie sa vie pour celle de ses enfants. Il a chanté l’épouse du « MENFI » qui se retrouve du jour au lendemain ni mariée ni veuve, dans une société lourde de traditions pesantes et très souvent injustes.
Idir a chanté l’exil ; cette douleur et ce vide que l’on ressent lorsque qu’on a laissé un bout de soi-même derrière sois, sans savoir si nous le retrouverons un jour. Il a chanté cette fameuse valise qui se prépare à traverser terres et mers, bourrée de figues des montagnes, d’une huile d’olive aussi pure qu’un filet d’or. Mais aussi pleine de chagrin, et de cette peur qui nous dit « vais-je les revoir un jour ? »

Il a chanté son amour et son respect pour la FEMME, fut-elle mère, épouse, fille, sœur, amante, amoureuse. Il a chanté ses mains devenues trop rugueuses par le dur labeur. Il a chanté son courage, son abnégation et son sens du sacrifice. Il nous a raconté ses pleurs, ses peurs, ses larmes, ses rêves qui n’ont jamais vu le jour mais aussi son espoir et son sourire éternellement éternelle.
Mais pas que …

Il a chanté l’Algérie, sa lutte pour la liberté et la justice. Cette Algérie qui voit ses enfants partir pour d’autre herbes probablement plus vertes mais aussi très amères, sans pouvoir les retenir. Cette Algérie qui pleure à la vue de ses enfants payer de leur vie ce besoin de liberté et d’épanouissement. Mais ses larmes arrosent une terre qui semble aride et sèche mais qui cache au fond de ses entrailles les germes de millions de fleurs qui un jour feront son printemps. Comme il l’a si bien dit un jour, ce n’est pas parce qu’on tue le physique de quelqu’un qu’on tue son idéal et ce n’est pas parce que toutes les fleurs d’un champs ont été coupées que le printemps prochain ne reviendra pas avec des fleurs nouvelles et pleines d’espoir.

Finalement, si ta disparition nous touche à ce point, c’est parce qu’on se connait même si nos chemins ne se sont jamais croisés. Tu as toujours été présent dans les moments les plus intimes et personnels, les moments de bonheur ou de malheur. Tu as toujours accompagné nos mélancolies.

Alors, je voudrais te dire MERCI.

Merci pour ta simplicité, ta sincérité, tes paroles pleines de sens et tes mélodies pleines d’émotion. Tu es peut-être parti mais tu restes à jamais parmi nous. Peut-être deviendras-tu une étoile scintillante au-dessus des montagnes de Kabylie, mais quelque chose au fond de moi me dit que tu deviendras un de ces fameux « I3ESSASSEN » *. Ces gardiens qui habitent nos anciennes maisons et les protègent ? Ainsi tu viendras de temps à autre nous rendre visite dans nos songes pour nous susurrer une berceuse, une légende, une chanson.

De la part d’une âme que tu as conquise il y a très longtemps

IGHI : petit lait. Les femmes en Kabylie avaient pour habitude de battre le lait de vache dans des calebasse pour en sortir une motte de beurre et il en restait le petit lait,

AGHROUM : galette kabyle, éternelle campagne du IGHI

ASSEMMOUM : fleur jaune appelé aussi OXALIS PIED DE CHÈVRE, qui couvre les champs en Kabylie dès l’arrivée du printemps

MENFI : Exilé. Beaucoup d’hommes partis en exil peu de temps après l’indépendance, notamment en France, laissant derrière eux leurs épouses. 

I3ESSASSEN : la légende en Kabylie dit que toutes les maisons sont pourvues de gardiens protecteurs, invisibles mais présents.